Une sélection naturelle?
Un des grands thèmes sociaux de ce début d'année scolaire a été la sélection à l'université. Ce chantier très polémique abordé par Emmanuel Macron a suscité l'opposition croissante des syndicats étudiants et des formations politiques de Gauche. Dans le contexte du chaos suscité cette année par l'échec cuisant de l'algorithme APB censé régler les affectations des étudiants en post-baccalauréat, le président de la République avait commencé à murmurer le mot tabou qu'est « sélection » dès le début. La réforme qui a été engagée suite à plusieurs mois de concertations avec experts et salariés du service universitaire va dans ce sens.
Le gouvernement a proposé un nouveau plan d'action pour l'université autour de quelques changements de pratiques. La première nouveauté est le renforcement de l'orientation personnalisée pour chaque étudiant lors des conseils de classe en terminale. Les professeurs devront émettre un choix favorable ou non à propos des projets d'orientation de leurs élèves et renforcer leur rôle de conseillers. Les vœux seront au nombre de dix à la fin de l'année, contre vingt-quatre possibles précédemment. Le système algorithmique d'APB et les tirages au sort seront supprimés. Les universités devront répondre par « oui », « oui si » ou « non » après avoir examiné les dossiers scolaires de chaque élève ayant présenté un vœu d'affectation. Les élèves n'ayant pas reçu d'affectation seront pris en charge par une commission spéciale qui, en fonction du dossier scolaire, donnera une place dans un établissement d'enseignement supérieur. De plus, les filières dites « en tension » verront leur nombre de places augmenter après la polémique du tirage au sort. Tout cela dès la rentrée prochaine, selon le gouvernement.
Ces dernières semaines, on a pu écouter une multitude d'avis défavorables par rapport à ce projet, mais à mon avis peu prenaient le problème comme il faut le prendre. Beaucoup de facteurs sont oubliés, souvent par idéalisme et intransigeance autour de valeurs qui ne sont pourtant pas partagées par tous. Tout d'abord, n'ignorons pas que la critique virulente de cette sélection nouvelle comporte en elle une hypocrisie. La sélection n'existe pas qu'à l'université, elle est opérée avant. Elle est opérée lorsqu'un élève se dirige vers une filière professionnelle dévalorisée ; elle est opérée lorsqu'une hiérarchisation est faite par les professeurs eux-mêmes entre les filières STMG, littéraire, économique et sociale, et scientifique. De plus il existe une sélection par la naissance et la condition sociale qui n'est pas négligeable en France. A cette hypocrisie s'ajoute un sectarisme sur les constats des conditions à l'université et les solutions à ces problèmes : il faut bien sûr investir, mais ce n'est pas la seule solution au problème. Lorsque le taux d'échec en première année est si élevé, participant au discrédit de cette institution, il faut remettre en question la viabilité d'y accepter tout le monde sans prérequis. Mais ce qui est peut-être le pire dans les attitudes et les opinions des opposants à ce projet, c'est la dévalorisation constante des filières professionnelles qui est faite implicitement. Si j'avais fait un baccalauréat professionnel, je serais outré d'entendre ces idéologues parler de ma filière comme d'une sous-filière, d'une filière qui ferait de moi un être sans capacité de réflexion. Et cette croyance semble profondément ancrée dans les esprits des défenseurs de l'université pour tous. Ils semblent s'imaginer que leur volonté est universelle et qu'elle doit s'appliquer pour tous, ignorant de fait que certaines personnes ne ressentent pas l'envie de s'engager dans un projet d'études long. Mais cela n'en fait pas des sous-citoyens pour autant. Pour toutes ces raisons, il semble un peu absurde de refuser en bloc cette sélection, de nier toute nécessité de réforme autre qu'un investissement massif, qui malheureusement n'est pas possible actuellement.
Car il faut le dire, cette réforme présente certains aspects positifs et encourageants. Tout d'abord, le renforcement de l'orientation personnalisée des élèves par leurs professeurs est une idée qui me semble assez pragmatique. Confronter de façon plus directe l'élève à ses possibilités et ses compétences permettrait de le responsabiliser, ce qui est justement essentiel pour la prise en main de son futur. La fin du tirage au sort est également une bonne nouvelle. Il ignorait tout mérite et plaçait sur le même pied un bachelier avec mention et un bachelier sauvé par le rattrapage. Certains idéologues considèrent ce processus comme le plus égalitaire, en hommage posthume aux institutions athéniennes, mais ils ont quand même emprunté l'opposition à cette pratique dans leur rhétorique sectaire. Ironie du sort, n'est-ce pas ? Au moins, tout le monde se met d'accord sur cela, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons. Cette réforme amène une sélection, qui n'est pas non plus si élitiste qu'on le prétend. Elle prend en compte les exigences et promet une approche pragmatique du problème qui oblige une l'honnêteté envers les étudiants. Néanmoins, cette réforme est insuffisante. Elle seule, elle ne solutionnera pas le problème de fond.
Effectivement, la France est confrontée à un cercle vicieux. Il faut se rappeler qu'initialement, le baccalauréat est censé être le premier diplôme universitaire. Depuis la loi Jospin, il a perdu toute son importance. L'obtenir semble être une formalité et c'est dorénavant la mention obtenue qui lui donne son intérêt. Les mentions pleuvent à des taux invraisemblables. Ce diplôme revêt désormais une dimension égalitaire. Tout le monde a le droit à son baccalauréat. Il n'est même plus considéré dans les dossiers scolaires pour les filières sélectives : il suffit juste de le valider. Au Royaume-Uni, qui par ailleurs nous surpasse dans les classements universitaires, il faut une note minimale à l'examen final pour accéder à la filière demandée. Elle est la réelle récompense d'un travail constant auquel on est censé s'adonner depuis l'entrée au lycée. Quel sens donner à une mention si elle n'est finalement qu'un moyen de satisfaire son égo pour celui qui l'obtient, et rien de plus ? Mais le pire dans tout cela est bien que la dévalorisation du baccalauréat entraîne la dévalorisation des filières professionnelles. Au point que certains, dont le président de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, parlent d'elles comme d'un malheur terrible qui pourrait tomber sur leur famille si leur enfant y finissait. Et si l'on suit cette logique : puisque le baccalauréat est si simple, alors tout le monde devrait y aller, y compris ceux qui n'ambitionnent pas de faire des études. Et puisque le baccalauréat est si facile à obtenir, pourquoi ne pas aller à l'université, même si on n'en a pas vraiment envie ? On finit donc avec des taux d'échecs, d'absentéisme et d'abandons massifs dès la première année, payés par le contribuable.
Mais la réforme du gouvernement ne s'attaque pas à ces problèmes. Premièrement, elle ne permet pas de revaloriser les filières professionnelles. Elle laisse ses étudiants dans une espèce de mépris exercé par l'élite de la Gauche bien-pensante implantée dans la capitale. Elle ne responsabilise pas assez les individus, avec un renforcement de la pédagogie qui permettrait de reconsidérer les filières professionnelles comme des filières importantes de la société dont on doit prendre soin. Ensuite, elle ne promet pas un investissement dans l'université qui est pourtant nécessaire pour améliorer son fonctionnement, et qui reconduira à des polémiques lorsque ces universités débordées laisseront le sort des étudiants entre les mains d'une commission qui décidera pour eux de leur futur en les affectant dans des filières qu'ils n'avaient pas exigées. Enfin, elle ne promet aucune allocation étudiante qui permette à chaque étudiant de subvenir décemment à ses besoins sans avoir à travailler pour vivre et ainsi sacrifier des heures d'étude et s'exposer à l'échec. Mais de plus, si l'Etat n'est pas méfiant, cette réforme finira par renforcer les inégalités.
Car les syndicats étudiants, lorsqu'ils critiquent cette sélection et le droit à l'université pour tous, soulèvent un point important. Leur logique est brutale, mais elle n'est pas dénuée de sens. Car s'il n'existait pas en France une ségrégation et un déterminisme social qui empêcherait certains jeunes d'avoir les mêmes chances d'accéder à ce qu'ils veulent à condition qu'ils s'en donnent les moyens, les syndicats étudiants ne se battraient pas pour des mesures si abstraites. Si on veut prendre le problème à la source, il faut lutter contre ces discriminations. Et cela par l'amélioration du système éducatif dans les zones délaissées (la réforme des classes de CP divisées par deux est donc un bon départ) et par une décentralisation des centres culturels vers ces quartiers délaissés afin de ne pas faire sentir à ces jeunes que la culture n'est que le privilège de la capitale. C'est une réforme large, une égalisation de l'éducation pour tous qui aujourd'hui est absente en France. Car en ne voulant résoudre le problème que par une sélection à l'université, on ne ferait que renforcer ce fossé social sans aucune perspective d'avenir.
La jeunesse de ce pays doit pouvoir choisir ce qu'elle veut étudier. Elle doit en avoir la liberté. Mais pour cela, il faut qu'elle s'en donne les moyens, cela est certain. Mais l'Etat ne peut pas laisser cette loi de la jungle, cette sélection naturelle, continuer à se développer et aboutir à une élite qui se reproduise entre elle. Il n'y a pas de réelle liberté sans les conditions propices à son exercice. Ne l'oublions pas.