Une Gauche populaire ?

21/02/2018

La politique française semble encore plus en phase de restructuration après le chamboulement des présidentielles de 2017. Mais s'il y a bien un bord politique qui s'est reconfiguré ces dernières années, et qui continuera encore à le faire, c'est la Gauche.

C'est un constat : la Gauche a perdu le vote des classes populaires. Les habitants de la « France périphérique » repérée dans l'essai du géographe Christophe Guilly, où sont concentrées les vraies classes populaires éloignées du dynamisme des villes et métropoles mondialisées, votent majoritairement Front National, ou pire, ne votent pas et se désengagent par l'abstention. Plusieurs raisons conjoncturelles, comme l'effacement progressif de la classe moyenne, expliquent cette perte du vote de ce qui faisait avant l'identité de la Gauche.

Mais la conjoncture n'explique pas tout, et surtout pas ce désengagement massif des classes populaires envers la Gauche. Sauf que la Gauche a aussi abandonné les classes populaires. Et cela, le rapport stratégique pour les élections présidentielles de 2012 élaboré pour le Parti Socialiste par le think thank Terra Nova le montrait déjà. Pour gagner, le Parti Socialiste avait déjà élaboré un discours de valeurs, progressiste, culturaliste et ouvert à l'immigration pour gagner le vote des jeunes diplômés, des femmes et des immigrés entre autres. Mais ce vote des citoyens déjà relativement favorisés, elle l'a obtenu en renonçant consciencieusement à celui des vraies classes populaires, exclues des dynamiques de la mondialisation, de la métropole et des échanges dynamiques, qui étaient, elles, rétives à ces valeurs.

Ainsi, la Gauche a semblé préférer tenir un discours politique « XXIème siècle », reléguant son électorat traditionnel dans ses préoccupations du XXème siècle. Mais le problème n'est pas réellement là : qui oserait contester la légitimité de se soucier de thèmes si importants que l'écologie, l'égalité des sexes ou l'accueil des réfugiés ? De même qu'on ne peut en vouloir à un ouvrier licencié de préférer voir une usine polluante rouverte afin de conserver son emploi, on ne peut en vouloir à cette Gauche qui est en phase avec son temps. Il serait quasiment impossible de contester ouvertement le libéralisme économique et le système actuel pour un parti qui se dirait de gouvernement. D'ailleurs, seule Marine Le Pen le fait, protégée par le fait qu'avec les institutions de la Vème République, elle n'est pas encore à l'Elysée.

Le problème pourrait se trouver dans l'aveuglement qui tient la Gauche dans son discours aujourd'hui. Elle prétend combattre pour les classes populaires, et emploie pour ce faire tout un lexique qui pourrait même sembler anachronique par rapport à ce qu'il contient réellement.

Prenons des exemples. La convergence des luttes semble encore à l'ordre du jour et rassemble entre autres l'antiracisme, la lutte féministe, l'écologie, etc. Durant la dernière campagne présidentielle, certains des points fondamentaux du programme de Jean Luc Mélenchon étaient la transition écologique et un changement de régime au profit d'une VIème République plus participative. Ces propositions peuvent être jugées bénéfiques pour toute la société, sans doute, mais dans leur forme ou bien même dans le fond, elles n'attirent pas le vote des classes populaires.

Car les anciens ouvriers licenciés ne paraissent pas être préoccupés par ces questions : leur vote ou leur abstention le conforte. Le Front National ne fait pas de l'écologie un axe de gouvernement, mais prétend pouvoir accorder des emplois aux ouvriers, même si ceux-ci sont polluants. De plus, il dénonce l'immigration. De même, on peut trouver des incohérences dans les méthodes d'action soutenues par la Gauche. L'apparition de l'hashtag « Balance ton porc », sauf à de rares exceptions, a été salué par les dirigeants politiques de Gauche. Mais il semble ne pas parler aux femmes discriminées des classes populaires. Car c'est ce qu'il faut se demander : les classes populaires isolées dans cette France périphérique écriraient-t-elles un tweet pour « balancer » ? Seraient-elles assez même assez bien protégées pour le faire ? Il apparaît donc que ces préoccupations, aussi importantes soient-elles, sont les préoccupations d'une élite. Certes, une élite bien vague, dispersée et inégale, mais dans une certaine mesure, une élite quand même.

Et en même temps, Macron réforme comme il l'avait promis, rassemblant une élite d'un peu partout, et espérant que se confortera son clivage qui sépare libéraux et protectionnistes, progressistes et conservateurs. Mais ce clivage ne semble pas placer les places populaires dans le « bon camp » établi par le président. Alors que la France Insoumise parait vouloir se placer du côté de ceux qui ne veulent pas vraiment gouverner, le Parti Socialiste est en reconstruction sans savoir encore son orientation future.

Face à une possible pérennisation du clivage macroniste qui ne saurait en aucun cas être bénéfique aux classes populaires, la question se pose : la Gauche va-t-elle se regarder dans le miroir et admettre son incohérence ? Voudra-t-elle travailler pour améliorer le quotidien des classes populaires de façon concrète ? Il est légitime de s'interroger.

« On peut caresser des idéaux sans l'éloigner d'en bas » chantait Bertrand Cantat pour Noir Désir. Peut-on ?

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