Optimisme
Féminisme, européisme, efficience et cohérence sont sans doute les points cardinaux du nouveau gouvernement espagnol. Avec l'aiguille pointant vers les prochaines élections, le socialiste Pedro Sanchez se présente comme un politique compétent par sa capacité à rafraîchir le PSOE (parti socialiste, centre-gauche) ainsi que par sa disposition à entamer une rénovation politique nécessaire.
Le président socialiste aime surprendre : il a été le premier candidat qui ait réussi à remporter une motion de censure, et cela sans être député. Il a ensuite été le premier président à jurer la Constitution sans la Bible. Par la nomination de ce gouvernement progressiste et centriste, il innove encore. Sanchez a nommé six hommes et onze femmes dans son exécutif, donnant à ces dernières les compétences régaliennes (économie, finances, intérieur, défense) sans aucune nécessité de se justifier.
Le féminisme de Pedro Sanchez s'inscrit dans la continuité des mandats du socialiste Zapatero (2004-2011). En 2004, après huit ans de mandats du conservateur Aznar (PP, centre-droit), le président socialiste avait mis en place une audacieuse série de réformes économiques et sociales contestées. Sa loi de 2004 contre les violences machistes reste encore pionnière en Europe. Celle-ci a été suivie d'une législation pour l'égalité entre les mariages hétérosexuels et homosexuels quant au mariage et à l'adoption, d'une loi pour l'égalité en 2007 puis d'un approfondissement du droit à l'avortement en 2010.
Pedro Sanchez, comme Zapatero à son heure, synchronise le PSOE avec les mouvements sociaux et les revendications de son époque. Car les revendications féministes ont pris beaucoup d'importance ces dernières années. Le 8 mars, pour la journée de la femme, une grève générale féministe a rempli les rues de dizaines de milliers de manifestants réclamant l'égalité salariale, la possibilité de pouvoir concilier vie professionnelle et familiale et la lutte stricte contre les violences machistes et les abus sexuels. Pedro Sanchez, alors secrétaire général du PSOE, avait déclaré que désormais « rien ne serait pareil dans la lutte pour l'égalité ». En avril, le verdict des tribunaux concernant l'affaire de « La meute » qui condamna cinq hommes pour abus sexuel plutôt que pour viol poussa les associations féministes à convoquer de nombreuses manifestations portant la colère et l'indignation comme mots d'ordre.
Ainsi, les choix de Sanchez qui rompent avec le supposé « plafond de verre » et qui dépassent la parité constituent une réponse forte aux revendications féministes, mais aussi un geste exemplaire et historique pour l'Espagne et pour l'Europe, séduisant la presse étrangère. Son geste est d'autant plus fort que les femmes sont nommées aux ministères régaliens : Nadia Calvino à l'économie, María Jesús Montero aux finances, Dolores Delgado pour la justice et Margarita Robles à la défense. D'ailleurs, personne ne critique ces choix en Espagne, tant l'expérience et la compétence de ces femmes sont élevées : le gouvernement ne peut avoir l'air que renforcé.
Car dans un contexte si fragile, le nouveau gouvernement aura besoin de vigueur. Les socialistes n'ont que 85 députés au Parlement, et leurs soutiens lors de la motion de censure sont déjà en train de se disperser. Sans le rejet d'un Rajoy fragilisé par la corruption de son parti, aucune alliance entre la gauche radicale de Podemos et des nationalistes de droite (PNV et PDeCat) comme de gauche (EH Bildu et ERC) ne saurait tenir. Les premiers affrontements ont d'ailleurs commencé : alors que la vice-présidente Carmen Calvo et la ministre Nadia Calvino ont rassuré l'Europe quant à la discipline de l'Espagne concernant les règles économiques européennes, Podemos est passé à l'offensive, qualifiant la rigueur budgétaire de « mal terrible ».
Le nouveau ministre des affaires étrangères n'est autre que Josep Borrell, ancien président du Parlement européen. Il fera donc usage de son expérience pour assurer le rôle de l'Union dans le prochain vote du budget pour les sept années à venir, et pour régler les différents autour de Gibraltar à la suite du Brexit. Mais sa grande tâche sera aussi pédagogique : expliquer les actions des nationalistes catalans et démentir le récit victimiste qu'ils tentent d'exporter à travers l'Europe. Le futur de l'unité territoriale espagnole sera également au centre de l'action de la ministre de l'action territoriale et de la fonction publique, Meritexell Batet. Cette catalane, partisante du dialogue avec les sécessionnistes mais inflexible quant à cette « indissoluble unité » de l'Espagne (art. 2 de la Constitution) devra donc reconstruire la relation entre l'Espagne et la Generalitat en menant des initiatives.
Les nouveautés ne manquent pas non plus. Le ministère de la culture renait après des années de relégation sous les gouvernements de Rajoy. Un nouveau ministère apparait : le ministère de la transition écologique. Sanchez s'engage ainsi dans la voie du respect des Accords de Paris sur le climat, en promettant une action pour le ralentissement du réchauffement climatique, pour la transition énergétique, la décarbonisation de l'économie et la défense des ressources naturelles et de la biodiversité espagnole. Dans sa conférence de presse, Sanchez a insisté sur l'importance de ce ministère qui « renforcera les politiques qui puissent construire un futur viable dans un pays dans lequel les débats autour du climat, ses conséquences et ses défis, n'ont pas été menés comme ils devraient l'avoir été ». De plus, la création d'un Haut comité de lutte contre la pauvreté infantile prend compte des dures conséquences de la grande récession qu'a vécue l'Espagne, la pauvreté infantile étant supérieure à 20% selon les chiffres de l'OCDE.
Ce gouvernement est donc ouvert à la société civile, conscient des défis et des préoccupations actuelles et rompt avec l'immobilisme et la politique dépassée du PP. Le centrisme et la modération pourraient apporter les réponses nécessaires aux exigences de réformation d'une grande partie de la société espagnole qui redoute tout de même l'instabilité. Les défis sont immenses : le rétablissement du dialogue avec la Catalogne, la régénération du modèle autonomique, l'approfondissement de l'indépendance de la justice et la garantie d'une prochaine neutralité de la télévision publique. Pour l'Espagne et pour l'Europe, cette équipe de rêve mérite une chance. Et moi, pleine d'optimisme, d'espoir et de confiance, j'y crois.
©Clara Palazuelos
