Les élections catalanes

22/12/2017

                               Le peuple catalan a parlé. Il a pu enfin s'exprimer dans des conditions impeccables et épurées de toutes les escroqueries, magouilles et illégalités qui avaient marqué la journée du premier octobre dernier. Par-là, on assiste au retour de la démocratie légale et légitime dans cette région, qui avait été sectionnée par Puigdemont et ses acolytes, et que l'article 155 de la Constitution a douloureusement recousu. Cependant, à la vue du résultat des élections, cette démocratie est encore fragile, mais elle est encore là. Il faut donc respecter la voix des urnes, même si cette voix est la résonance d'une grave irresponsabilité, d'un grave manque de lucidité, d'un excès de passion : la résonance d'une erreur historique.

A observer l'euphorie des indépendantistes, qui ont obtenu la majorité absolue en sièges au parlement hier, il est indispensable de leur faire reprendre le sens et la mesure de leurs actions. D'abord, car ils sont inscrits dans le sillon de l'unilatéralité, et qu'ils ont prétendu durant leur sécession ne pas reconnaître la légitimité de l'Etat espagnol. Mais malgré cela, ils se sont précipités pour se présenter aux élections exceptionnelles convoquées par ce pays qu'ils renient. Ils l'ont fait en faignant une frilosité par rapport aux résultats : frilosité qui deviendrait hypothermie qu'en cas de défaite, bien sûr. Désormais, ils sont majoritaires : les élections étaient donc les bienvenues ! La politique avec eux se transforme inévitablement en un cirque loufoque : cet Etat qu'ils refusent de reconnaître comme le leur, par ironie du sort, leur confère la légitimité électorale.

Néanmoins, cette légitimité est à nuancer. Ils n'obtiennent encore que 47,5% des voix : ce n'est que le système électoral qui leur confère une majorité de sièges au parlement. De ce résultat, deux choses éternellement ressassées sont encore à souligner : 1) la volonté d'indépendance n'est pas majoritaire en Catalogne ; 2) il est vrai qu'il y a un problème à solutionner lorsqu'une telle proportion de votants réaffirme son aveuglement. Mais face à cette situation, les indépendantistes doivent se mettre quelques règles de civisme dans la tête : ils ne sont pas en position d'imposer leur volonté à la nation espagnole qui leur a conféré la légitimité par les urnes, ni de l'imposer à la majorité des catalans qui ont tout de même majoritairement validé leur volonté d'appartenir à l'Espagne. Car la majorité des catalans a tout de même reconnu la prépondérance de la Constitution espagnole, qui ne permet pas le droit à l'auto-détermination. S'ils veulent négocier une solution à ce conflit, les nationalistes doivent dialoguer en respectant l'ensemble du peuple espagnol, car c'est ce que veut également la majorité des catalans. Si les nationalistes ne renoncent pas à cette unilatéralité, ils violent leurs propres électeurs et salissent la légitimité donc ils sont investis.

Mais si le problème n'était que de cet ordre... Mais non. La Catalogne est à nouveau plongée dans une situation d'une cocasserie sans nom. Les partis unionistes ne peuvent pas former de coalition, c'est donc aux leaders nationalistes de le faire. Or, avec Junqueras (ERC) encore en prison et Puigdemont (PdeCAT) embourbé dans son prétendu exil politique, et menacé d'arrestation par la justice espagnole en cas de retour en Espagne, on ne peut pas dire que l'issue soit évidente. Car la justice est indépendante et ne se dérobera pas. Les suffrages obtenus par une partie de l'électorat catalan n'annuleront en aucun cas le verdict des juges espagnols : la clameur des urnes ne saurait supprimer le discours de la justice. Et c'est là-dedans que l'on observe l'irrationalité des électeurs : alors que les entreprises fuient la région à cause de l'instabilité, que l'économie en pâtit, que les candidats sont emprisonnés ou susceptibles de l'être et que les mythes et les mensonges ont été incessamment démasqués, les urnes s'obstinent. Il s'agit bien d'un vote passionnel, qui donne la mesure du chaos suscité par plusieurs années de propagande nationaliste dans la région, et du chantier à venir pour y réinstaurer la liberté intellectuelle et la raison.

Dans cette situation, certains électeurs ont tout de même pris la mesure de l'enjeu historique soulevé par cette élection. Le Parti Socialiste Catalan (gauche) et son leader Iceta ont payé cher leur manque de lucidité et leur ambigüité dans leurs rapports avec les nationalistes. Le Parti Populaire (droite conservatrice), même s'il était déjà faible dans la région, a subi les foudres du rejet massif de Mariano Rajoy, son leader à l'échelle nationale. Les électeurs catalans n'ont même pas accordé un groupe parlementaire au Parti Populaire : son apathie, son manque de prise d'initiative politique et son immobilisme ont annihilé les quelques chances qu'avait ce parti de peser sur l'échiquier politique.

Ciudadanos (centre-droit) est le seul parti à tirer une épingle du jeu parmi les forces politiques unionistes. Il se situe comme la première force politique catalane avec plus d'un million d'électeurs. Son leader Albert Rivera, appuyé par l'énergie de la candidate catalane Ines Arrimadas, a joué la carte du jeune parti non-touché par la corruption. Il a le mérite d'être clair dans ses jugements sur les possibles défauts d'une décentralisation excessive. Ciudadanos n'aura pas un pouvoir politique transcendant sur le gouvernement de la Catalogne, mais est peu à peu en train de prendre le dessus sur le Parti Populaire dans le paysage politique de la droite espagnole. Car ce Parti Populaire, anesthésié et inactif, n'est d'aucune aide dans le débat politique et semble avoir perdu le train de la résolution du conflit catalan en Espagne.

Ainsi, alors que le Parti Populaire perd tous ses paris et que Podemos (extrême-gauche) s'englue dans un radicalisme et un sectarisme destructeur, seuls le Parti Socialiste espagnol et Ciudadanos tiennent un discours réaliste qui pourrait permettre la résolution de ce conflit qui s'éternise depuis trop longtemps. Un juste milieu entre une plus grande décentralisation de certaines fonctions et une recentralisation de compétences qui ont trop servi à des fins politiques est essentiel. Espérons que les deux seules forces sensées en Espagne s'engageront dans ce débat.

César Casino - Blog pluridisciplinaire
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