La censure, triste arme politique

16/06/2018

Le chanteur Médine a été programmé au Bataclan pour deux concerts en octobre prochain. Ce rappeur, qui se revendique musulman, se trouve depuis au centre d'une polémique démesurée. Divers internautes issus de la « fachosphère » (Fdesouche notamment) ont instrumentalisé le concert. La polémique a été reprise par le Rassemblement National de Marine le Pen puis par Les Républicains de Laurent Wauquiez. Leur revendication est simple : ils demandent l'annulation de ces concerts, comme ils avaient obtenu l'interdiction de celui du rappeur Black M en 2016 à Verdun.

Ce sont les écrits de ce chanteur polémique qui ont motivé de telles démarches. En 2005, Médine publiait son album Djihad : le plus grand combat est contre soi-même.... En 2015, une semaine avant les attentats de Charlie Hebdo, il chantait « Crucifions les laïcards comme à Golgotha ». C'est pourquoi les associations et partis de droite et d'extrême-droite considèrent comme une atteinte à la dignité des victimes des attentats du 13 novembre 2015 qu'un chanteur qu'ils considèrent islamiste puisse se produire dans cette salle chargée de sens.

Médine a pourtant de quoi se défendre. Il n'a jamais été condamné par la justice pour ses paroles et n'a provoqué aucune polémique remarquable auparavant. Dans d'autres de ses chansons, comme « Don't panik », il écrit même « On n'incite pas nos sœurs à être candidates à l'excision / Nous aussi on souhaite émanciper la femme / [...] / Travail égal, fiche de paie inégale pour femme / C'est tout de même pas une philosophie musulmane / [...] / Pour respecter nos sœurs on attendra pas le 8 mars » : il se distancie des positions islamistes auxquelles on l'amalgame. Les paroles que l'on retient sont sorties de leur contexte, leur ôtant leur sens véritable. Il a fermement condamné les attentats djihadistes et a même reconnu avoir été trop loin dans la provocation avec sa chanson « Don't laïk ».

Ce chanteur s'est toujours expliqué : il utilisera toujours la polémique pour attirer l'attention et choquer. Cette méthode me semble maladroite, voire dangereuse : ses paroles incitent plus au communautarisme excluant qu'à la tolérance mutuelle.

Pourtant, le sujet n'est pas là. Le débat sur ses paroles et idées ne peut exister que lorsque l'esprit critique et la raison intéressent les acteurs. Ce n'est pas le cas ici. Cette extrême droite qui se nourrit de la peur de l'autre a tout intérêt à tendre le débat et à stigmatiser. De plus en plus, interdire devient une arme politique. Qu'importe si cette interdiction induit une restriction de la liberté d'expression. Qu'importe si cette interdiction prive les citoyens (ici, deux Bataclans remplis) de leur liberté de conscience, les infantilise et les juge inaptes à exercer leurs droits. Qu'importe si cette interdiction divise une société tout en radicalisant les deux camps qui s'opposent. Qu'importe si cette interdiction instrumentaliste sans aucun scrupule la douleur des victimes à des fins politiques. D'ailleurs, nombreuses d'entre elles se sont opposées à cette politisation de leur souffrance : la douleur n'a pas de filiation politique.

Dans une société, chacun joue son rôle. Les juges rendent leurs verdicts. Les programmateurs programment. Mais le rôle des partis politiques ne peut être celui de censurer. Si ces organisations n'obtiennent pas l'annulation du concert, elles compromettront sa tenue par des menaces de trouble à l'ordre public. Les associations féministes y sont parvenues dernièrement pour en finir avec la tournée de Bertrand Cantat ; elles ont donc donné un sens aux demandes de la droite, les ont justifiées et en ont engendré d'autres. Commençant par des pétitions, les militants ont fini par jeter des pierres sur les spectateurs, ce qui a amené de nombreuses salles, dont l'Olympia, à annuler les apparitions du chanteur de Noir Désir pour ce même risque de troubles à l'ordre public.

Céder à ces chantages à nouveau, c'est céder au terrorisme intellectuel et donc tolérer une prise d'otage du public. Le danger est là.

Le projet djihadiste est une restriction des droits, une interdiction à grande échelle. Il s'est parfaitement exprimé le 13 novembre 2015, en tuant massivement dans une salle symbole de nos libertés. Je suis allé au Bataclan pour un concert avant la tuerie, mais je ne pourrai pas y retourner tant l'histoire de cette salle me serait insupportable. Or, le Bataclan a décidé de poursuivre sa mission : programmer de la musique librement. Interdire des concerts pour des raisons politiques : la voici, la véritable faute morale qu'aucune urgence ne pourrait justifier, et qui ne rendrait pas hommage aux hommes qui sont morts dans l'exercice de leur pleine liberté.

Une des chansons du dernier album de Médine s'intitule « Bataclan ». Tout au long, un leitmotiv : « Tout ce que je voulais faire c'était le Bataclan ». Malgré toutes les provocations contestables de Médine, cette phrase nous dit tout, et nous met face à l'absurdité de ce débat. Interdire des concerts de façon arbitraire ne permettra jamais de combattre l'islamisme.

©César Casino 

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