Et l'Oscar de l'hypocrisie ?

16/03/2018

America est un documentaire de Claus Drexel sorti en salles mercredi dernier. Pendant une heure vingt, le réalisateur s'intéresse aux habitants d'une petite ville isolée aux Etats Unis, en Arizona, et écoute leurs témoignages, posant sa caméra sur les paysages de leurs vies.

Le caractère photographique du documentaire est grandiose, en ce qu'il donne aux paysages déchus et abandonnés une esthétique profonde : la lumière y est belle et ce qui paraît mort dans cette ville délaissée reprend vie par le regard de la caméra. De la même manière, le documentaire redonne de l'importance à ces citoyens isolés. Il les filme sans les juger, écoutant leurs digressions philosophiques et politiques, qu'elles soient poussées ou assez sommaires, et dégage de celles-ci une sincérité totale, un franc-parler et un humour rares. Mais ce qui marque le plus, c'est le contenu sociologique de cette œuvre. On comprend les conditions de vie de ces individus : ils résident dans l'insalubrité d'une ville qui est isolée de tout. Le témoignage d'un des habitants, appuyé sur le capot de sa voiture usée, qui relate le temps que met la police à arriver dans la ville en cas d'appel d'urgence (près de deux heures parfois), est glaçant. Les témoignages sont si honnêtement captés par la caméra que l'on en arrive à comprendre l'origine des motivations politiques de chacun : le droit de porter une arme, le vote Trump, le rejet de l'immigration.

Ce que j'aimerais mettre en parallèle avec ce documentaire, c'est la dernière soirée de remise des Oscars. Je ne commenterai pas cela d'un point de vue cinématographique, mais politique et social. Mon interrogation vient d'une phrase, d'une petite blague, de Jimmy Kimmel, présentateur de la soirée : « Les Oscars ont quatre-vingt-dix ans cette année : ils doivent probablement être assis sur leur canapé à regarder Fox News », en référence à la chaîne d'information continue américaine de droite, sympathisante de Donald Trump durant la campagne présidentielle de 2016.

Rien qu'une petite blague, petit instant de dérision pour des spectateurs qui s'ennuieraient, assis sur leurs confortables sièges de pourpre, sans la présence de leur bouffon de luxe. Mais cette citation témoigne de bien plus. Assimilant les électeurs de Trump à une frange de la société inactive et reléguée dans le passé, elle montre un profond mépris social assumé qui s'attelle à rabaisser les électeurs de Trump (presque la moitié des Etats Unis me direz-vous, presque rien). Il serait inutile de rappeler la profonde intolérance dont témoigne cette plaisanterie. Ce qui me marque, c'est que la cérémonie des Oscars rassemble des citoyens qui se considèrent comme une élite intellectuelle, qui se permettent de rire à une telle blague, qui se portent en apôtres de la juste pensée, et qui méprisent les gens qui ne partagent pas leurs valeurs « progressistes ».

Mais voyons, quelle élite ! Aujourd'hui, elle se vante de porter la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes en portant des petits pin's. Pourtant hier, Weinstein exerçait ses infâmes agressions dans la totale impunité, et Hollywood pourrissait dans la complicité. Elle prétend exposer la grandeur du cinéma de réalisateurs issus de l'immigration ou afro-américains en consacrant Del Toro cette année ou Moonlight l'année dernière. Que dire du fait qu'avec ces salaires, cette élite a un contact assez restreint avec l'immigration... En plus, la prétendue présence d'immigrés se réduit tout de même à quelques cas très particuliers, et non pas à une quantité considérable. Il faut le constater : c'est une élite par l'apparence, pourtant corrompue par une profonde décadence intellectuelle et morale.

Mais quel est le rapport entre America de Claus Drexel et cette cérémonie des Oscars ? C'est qu'America décrit le terroir du vote Trump. Le documentaire montre bien le ridicule de la démarche d'Hollywood. Sans aucune connaissance empirique et sociologique de l'électorat auquel elle s'attaque, l'industrie cinématographique la rabaisse, la reléguant dans une stupidité intellectuelle et morale, et sans se remettre en question. Car le documentaire le montre bien : les motivations de l'électorat Trump ne sont pas insensées, et certains de ses électeurs font preuve d'un esprit critique bien plus grand que ces acteurs payés par millions. Trump n'arrive pas là par hasard, mais ne fait que témoigner d'une immense fracture américaine, entre ceux qui ont été délaissés par la société et ceux qui en abusent. Hollywood devient le symbole de cette injustice et renforce la fracture. Et le pire de tout : en s'attribuant les apanages de la grandeur morale.

Face à cela, il nous faut ajuster notre comportement. Il faut voir les choses en face : regarder les Oscars, c'est une forme d'acceptation et de soutien de ce discours moraliste impur. Il n'y a aucun problème à voir ces films qui sont nominés. Mais ce type de cérémonie joue sur notre fascination pour le pouvoir, pour l'argent, pour le succès et pour tout ce qui brille. Par petites injections de mythe du self made man et d'activisme, on nous fait oublier ce qui est pourtant éclatant. Il n'y a dans cette parade qu'une mise en scène hypocrite d'une conscience politique illégitime et humiliante. Un geste éthique consisterait à nous séparer de cette irrésistible manie adulatrice. Pour qu'au moins, ils comprennent que dans leur position, la discrétion serait la moindre des choses. Et qu'on ne l'oublie pas : un réel artiste porte bien plus de force dans une œuvre que dans un discours.

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