Espagne : le gouvernement du mensonge met en place sa commission de la vérité

19/11/2020

Sous le feu des critiques pour sa gestion de la pandémie de COVID-19, le gouvernement de coalition entre PSOE et Podemos a approuvé le 30 octobre un arrêté ministériel afin de mettre en place une commission permanente pour « lutter contre la désinformation ». La mesure a choqué l'opposition, les juristes et Reporters sans Frontières, qui ont dénoncé cette attaque frontale contre la liberté d'expression dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Pour justifier son initiative, le gouvernement s'appuie sur les recommandations de la Commission Européenne en matière de lutte contre les fake news, campagnes de désinformation étrangères et possibles ingérences de puissances étrangères dans la politique nationale. Pourtant, tout porte à croire que les véritables raisons expliquant la création d'une telle commission sont moins glorieuses. En effet, la mesure ravit Podemos sans gêner Pedro Sanchez, dont la relation avec la vérité est compliquée et qui ne semble pas opposé à la création d'un mécanisme qui lui permettrait de décrédibiliser ses opposants...

Pablo Iglesias et la liberté de la presse, une relation compliquée...

On ne peut comprendre l'initiative du gouvernement espagnol sans connaitre la haine profonde que ressent le vice-président Pablo Iglesias à l'égard de la liberté de la presse. Pour la bonne bouche, voici quelques phrases -jamais reniées- prononcées en novembre 2013, alors que Podemos n'était pas encore né, lors d'une interview pour la chaîne YouTube GalizaAnoZero.tv.

En bon communiste ascendant bolchévique, Iglesias estime que la presse et l'accès à l'information doivent être « contrôlés par une chose qui s'appelle l'Etat, avec toutes ses contradictions, mais qui soit représentatif, en dernière instance, de la volonté populaire ». Et bien sûr, qui d'autre que lui pour s'atteler à cette tâche : « Moi, j'aimerais qu'un parti de gauche gagne une élection pour me nommer directeur d'une télévision publique ». Car il estime que le journalisme est une arme indispensable pour conquérir et se maintenir au pouvoir : « Le journalisme est une arme qui sert à tirer. Point barre. »

Dans le concept de « liberté de la presse », c'est bien le mot « liberté » qui le dérange : « Bien que l'information soit un droit, elle est susceptible d'être mercantilisée et devenir une propriété privée, et c'est alors qu'elle devient un privilège. Ainsi, le fait qu'une grande partie des médias soient privés est une attaque à l'encontre de la liberté d'expression. Il faut même le dire ouvertement : ce qui attaque la liberté d'expression, c'est l'existence de médias privés ».

Iglesias s'est même permis d'imaginer quelques conditions à une future alliance avec les socialistes : « Le prix pour mon soutien à un accord entre Izquierda Unida [le parti avec lequel fusionnerait Podemos en 2019] et ces réformistes traitres pro-troïka du PSOE serait qu'ils nous donnent le contrôle d'une télévision, comme cela a été fait en Equateur, en Argentine et au Venezuela ».

L'âge n'a visiblement pas arrangé ses pulsions liberticides, puisqu'il a signé la semaine dernière, aux côtés d'illustres démocrates libéraux comme Evo Morales, Rafael Correa et Jean-Luc Mélenchon, un manifeste « en défense de la démocratie », que ces derniers estiment menacée par l'extrême-droite. L'avant-dernier paragraphe est une attaque directe à l'encontre de certains journaux, accusés d'être des « pouvoirs communicationnels au service de l'extrême droite qui accumulent un immense pouvoir d'influence et prétendent manipuler et infantiliser les citoyens afin de défendre leurs intérêts politiques et économiques ».

Il convient aussi de rappeler qu'Iglesias se trouve actuellement au centre d'une procédure judiciaire pour délits informatiques, révélation de secrets et fausse accusation. L'évolution de ces procédures pouvant s'avérer gênante, il est dans son intérêt de cultiver un récit politique du lawfare assimilant toute action judiciaire ou médiatique comme une offensive de l'extrême-droite.

Le gouvernement Sanchez et les fake news, une longue histoire d'amour...

La réalité politique aura eu le mérite d'apprendre à Iglesias le pragmatisme : il n'aura pas droit, comme son idole Hugo Chavez, à son « Aló Presidente » en prime-time sur une chaine de télévision publique. Pour autant, les nouvelles ne sont pas réjouissantes pour la liberté de la presse puisque le gouvernement a publié vendredi 30 octobre un arrêté ministériel qui lui permettra de décider de ce qui est vrai ou pas dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais avant d'apprécier à leur juste valeur les mesures prévues, il convient de rappeler le goût prononcé de ce gouvernement pour le mensonge et les fake news.

Si le mensonge est désormais considéré comme habituel en politique, Pedro Sanchez s'est distingué comme le plus menteur des dirigeants de l'Espagne démocratique :

  • Le 12 septembre 2018, attaqué par un opposant politique sur l'authenticité de sa thèse doctorale et les raisons pour lesquelles il ne l'avait jamais publiée, il affirmait face aux députés que sa thèse doctorale avait été écrite « en conformité avec la loi ». Deux jours plus tard, le journal conservateur ABC publiait une analyse mettant en évidence qu'un minimum de 161 lignes de sa thèse étaient plagiées. Cela ne l'avait pourtant pas empêché, le 1er juin 2018, pour souligner la corruption du Parti Populaire, de donner comme exemple d'intégrité morale des ministres allemands ayant démissionné suite à la découverte de plagiats dans leur thèse doctorale.
  • Durant sa campagne électorale de 2019, il s'était montré clair sur les possibles alliances électorales du PSOE : « Je ne pourrais pas dormir la nuit si Podemos faisait partie du gouvernement », « Je ne vais pas permettre que la gouvernabilité de ce pays soit en main des nationalistes », « Nous ne passerons pas d'accord avec Bildu [le bras politique de l'ETA]. Si vous voulez, je peux le dire 5 fois, ou 20 fois. Je vous le répète : nous ne passerons pas d'accord avec Bildu. Si vous voulez, je peux le répéter encore ». Le 7 janvier 2020, il rendait publique la formation d'un gouvernement de coalition avec Podemos. Le 22 mai, il passait son premier accord parlementaire avec Bildu.

La crise du coronavirus a montré que cette propension au mensonge n'était pas l'apanage exclusif de Sanchez, mais bien d'un gouvernement entier. Voici quelques exemples extraits d'une liste malheureusement trop longue :

  • Le 28 janvier 2020, le Ministre de la Santé Salvador Illa déclarait qu'il n'y avait « aucun cas de COVID-19 en Espagne ». Le 4 novembre, le média Libertad Digital nous informait que la réactualisation des statistiques du COVID-19 montraient qu'autour de 70 cas avaient été détectés en janvier.
  • Comme en France, le gouvernement a préféré le mensonge d'Etat plutôt que d'avouer l'existence d'une pénurie de masques. En effet, le 20 mai 2020, Fernando Simon, l'épidémiologue missionné par le gouvernement pour la gestion de la pandémie, déclarait qu'il y n'y avait « aucun sens à porter un masque lorsque l'on n'est pas malade ». En juillet, le port du masque devenait obligatoire sur l'ensemble du territoire.
  • Plusieurs journaux ont dénoncé que le gouvernement espagnol ne respectait pas les règles de l'OMS concernant le comptage des décédés du COVID-19 atteints de comorbidité. Ce sous-comptage artificiel a permis au gouvernement de présenter des statistiques inférieures à la réalité : en juin, il ne reconnaissait que 27 000 morts du COVID-19 alors que les statistiques des régions faisaient état d'au moins 43 000 morts.
  • Le 28 avril 2020, le journal El Mundo publiait un article montrant comment le Ministre de la Santé avait menti sur le nombre de tests PCR réalisés en Espagne.

« Désinformation » : qui pour en juger ?

On peut comprendre qu'avec de tels antécédents, le gouvernement ait intérêt à faire peser la menace d'un contrôle sur la presse et les réseaux sociaux : c'est précisément ce qui ressort de l'arrêté ministériel du 30 octobre.

En effet, 6 institutions formeront cette commission contre la désinformation :

  • Le Conseil de Sécurité Nationale, réunion du gouvernement et de quelques hauts fonctionnaires espagnols ;
  • Le Comité de Situation, une réunion élargie du gouvernement et d'autres hauts-fonctionnaires espagnols ;
  • Le Secrétariat d'Etat à la Communication, administration dépendante du gouvernement chargée de sa communication.
  • La Commission Permanente contre la désinformation, sélection de ministres et secrétaires d'Etat.
  • Les autorités publiques compétentes : l'arrêté ministériel précise qu'il s'agira-là du Secrétariat d'Etat à la Communication, de la Présidence du Gouvernement, du Centre National d'Intelligence ainsi que des cabinets de communication des ministères.
  • Le secteur privé et la société civile, mais pas n'importe laquelle : uniquement celle dont le gouvernement estimera la participation « utile et pertinente afin de lutter contre le phénomène de désinformation ».

Vous l'aurez remarqué : les membres de cette commission dépendront tous du gouvernement.

Un volet répressif très vague : incompétence ou négligence volontaire ?

En ce qui concerne le volet répressif de l'arrêté, quatre niveaux d'action sont prévus pour lutter contre ce que le gouvernement estimera être une campagne de « désinformation ». En fonction de ses critères, il pourra :

  • « Lancer une campagne de communication publique dirigée par le Secrétariat d'Etat à la Communication » ;
  • « Adopter des décisions et marquer des objectifs de caractère politico-stratégique avec comme but de lutter contre une campagne de désinformation » ;
  • « Enquêter sur le possible origine de la désinformation, ses motivations et en surveiller l'activité » ;
  • « Ouvrir une cellule de coordination contre la désinformation ».

A l'exception de ces quelques dispositions, l'arrêté ministériel se montre délibérément imprécis et ambigu : aucune sanction claire n'étant détaillée, les juristes espagnols ont manifesté leur perplexité quant à la sécurité juridique des médias et utilisateurs des réseaux sociaux.

La délégitimation de l'opposition, un énième épisode de dérive illibérale

Cette nouvelle dérive illibérale du gouvernement s'avère être beaucoup plus cynique et malhonnête que les attaques frontales et explicites qu'ont subies la justice et le parlement en ce début d'année. Car s'il est courant chez Sanchez et Iglesias d'assimiler toute opposition politique à l'extrême-droite, on imagine très facilement comment cette commission pourrait discréditer toute critique sociale, dans les médias et sur les réseaux sociaux, en l'attribuant à l'extrême-droite. Il est donc clair que les intentions sont politiques avant d'être juridiques : les mesures prises par la commission permettront de diaboliser toute contestation de l'action du gouvernement.

Ces procédés sont d'autant plus alarmants que le mois dernier, Pablo Iglesias déclarait au parlement, s'adressant aux députés du PP, qu'ils avaient « condamné leur propre futur en marchant dans le sillon de l'extrême droite. Vous ne ferez plus jamais partie du Conseil des Ministres de ce pays. [...] Vous savez que vous n'allez plus gouverner. Ni dans quelques mois ni dans quatre ans. Et vous savez pourquoi : parce que vos idées ont été vaincues socialement ».

La malédiction ainsi lancée par Iglesias nous fait penser à un discours d'Hugo Chavez, tenu en 2010 face à son opposant Enrique Capriles : « Nous devons vous en empêcher. Il est impossible que vous gouverniez encore dans ce nouveau Venezuela. Vous ne récupérerez pas le pouvoir, quoique vous fassiez. C'est Hugo Chavez qui vous le jure. Je serai au premier rang de cette bataille ». 

© César Casino Capian

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