Réformer l'Espagne pour la Catalogne
La fracture brutale qu'a été le défi sécessionniste en Catalogne durant les derniers mois a augmenté la nécessité urgente de réformer le fonctionnement institutionnel de l'Espagne. La priorité est à la récupération de la cohésion, dans toute l'Espagne et aussi à l'intérieur de la Catalogne. Pour ces raisons, le débat autour de la Constitution espagnole et du statut des Communautés Autonomes. C'est un débat de longue haleine, car il ne cesse d'être abordé depuis le consensus créateur de cette année 1978 qui instaura les bases de la démocratie espagnole.
Certains voient comme réponse évidente au défi sécessionniste une décentralisation renforcée. Au risque qu'elle soit absolue et irréfléchie. Il convient alors de se pencher sur le statut de cette contestation née en Catalogne. Je vais donc le rappeler, même si j'invite pour plus de précision à consulter mes précédents articles sur le sujet. C'est d'un nationalisme qui sévit dans un pays déjà décentralisé que l'on parle, et non pas d'une poussée girondine et progressiste face à l'oppression d'un Etat jacobin. Dans ces conditions, est-il raisonnable de tout céder sans aucune analyse de la situation ? De croire que tout donner éteindra la flamme nationaliste ? Déjà en 1934 la Generalitat de Catalogne, présidée par Companys et dominée par ces mêmes ressentiments, avait trahi effrontément par une tentative de sécession la République qui lui avait conféré les plus grands avantages et les plus grandes libertés jamais connus. La décentralisation alors menée par Manuel Azaña n'avait pas suffi à éteindre cette ferveur. En quoi serait-ce différent aujourd'hui ?
Il faut donc envisager une politique bien plus réaliste. Car oui, la solution passera bien par des initiatives politiques et non un laissez-faire, déjà proposé par Mariano Rajoy et dont l'échec n'est pas à prouver. Une assez grande partie du peuple catalan a clairement souligné son mal-être par rapport à la situation de la Catalogne en Espagne pour que l'on prenne en considération ces problèmes.
Il y a dans les relations entre l'Etat central espagnol et les Communautés Autonomes espagnoles un rapport excellent sur certains points, mais parfois inadapté. C'est-à-dire : la décentralisation espagnole se montre excellente sur de nombreux points, mais parfois désorganisée et même injuste.
Abordons d'abord la redistribution des richesses par Communautés Autonomes actuelle. Deux régimes de perception des impôts sont en vigueur. Le régime normal prévoie une perception des mêmes pourcentages d'impôts pour chaque Communauté Autonome par l'Etat central, afin de procéder à une redistribution selon les besoins, la population, les niveaux de richesse et les compétences. Mais en parallèle, pour deux Communautés autonomes (Navarre et Pays Basque), le système est différent. Ces Communautés Autonomes perçoivent elles-mêmes tous les impôts avec une ample capacité normative et payent ensuite à l'Etat une somme négociée avec le gouvernement (le cupo). Ces négociations permettent ainsi à ces Communautés Autonomes l'obtention de juteux avantages contre leur soutien au gouvernement, si crucial dans un régime parlementaire. Pour résumer, la clarté et l'équité ne sont pas de pairs dans ces procédures. Nous sommes plus proches de la perception chaotique des impôts par les publicains dans les colonies de la République romaine que d'un régime démocratique décentralisé du XXIème siècle.
Mais avec la subsistance d'une telle inégalité dans cette collecte d'impôts, comment dire clairement et expliquer aux Catalans qu'aucun égoïsme économique ne sera accepté dans le futur de l'Espagne ? Il faut donc modifier et harmoniser l'organisation fiscale des Communautés Autonomes. Une véritable justice, égalité et clarté doivent être à l'ordre du jour. Et à partir de là, avoir confiance en la décentralisation et ses vertus, afin de l'approfondir pour une meilleure efficacité.
Mais cette réconciliation fiscale n'est possible que si l'on procède à une réelle réflexion sur le statut que l'on veut donner à la culture et à l'éducation en Catalogne, qui seront des facteurs déterminants du futur de la liberté de penser dans cette région.
L'éducation doit être le vecteur de la transmission du savoir et l'artisan de la liberté intellectuelle. Et non pas un instrument de propagande, comme ça a pu être le cas en Catalogne. Dès 1979 avec Adolfo Suarez, les gouvernements successifs ont délégué les compétences éducatives à la Generalitat contre un soutien législatif des gouvernements nationalistes. Le régime parlementaire a donc entraîné une nécessité pour les grands partis, de droite comme de gauche, de s'appuyer sur les nationalistes, au grand dam de la cohésion de la société. S'est alors mis en place en Catalogne un courant visant à transmettre la supériorité de l'appartenance à la nation catalane à l'école et à limoger les enseignants réticents à cette idée. La chasse à la langue castillane a été un des aspects de ce courant. Le castillan est aujourd'hui enseigné en Catalogne comme une deuxième langue, au même statut que l'anglais. On en arrive à des situations loufoques : l'Etat espagnol, pour étouffer le scandale, en vient à payer des écoles privées enseignant le castillan en première langue aux familles se plaignant de l'absence de l'enseignement du castillan dans les écoles publiques pour leur enfant ! J'ai moi-même pâti de ce genre de pratiques : en recherchant une formation dans une bonne université barcelonaise, j'ai été confronté à l'impossibilité de m'inscrire car je ne parlais pas catalan et que les cours étaient dispensés dans cette langue.
Il faut donc admettre qu'il y a un souci avec la décentralisation dans ce cas. Je suis défenseur de la richesse apportée par les langues régionales : je déplore par ailleurs leur extinction en France. Mais lorsque la défense d'une langue devient une excuse pour en éliminer une autre, il y a y problème. N'oublions pas que la Catalogne est en Espagne, et que tous les Espagnols ne parlent pas catalan : la langue officielle doit tout de même primer afin de ne pas créer d'inégalités entre citoyens d'un même pays. Soyons raisonnables : recentralisons ces compétences, qui ont trop souvent été un outil idéologique.
Dans cette guerre des opinions, un des nombreux soldats a aussi été la télévision publique catalane, et plus particulièrement la chaîne TV3. A grand coups de dévalorisation de l'Espagne et de claire subjectivité, elle a participé de l'état actuel de la situation. Elle s'est notamment illustrée pour avoir livré une définition fausse de ce que sont des prisonniers politiques et d'avoir assimilé les politiques catalans mis en prison provisoire, inculpés pour délit de rébellion et de sécession, dans cette case, ce qui est juridiquement faux (et tout cela, bien sûr, dans une émission destinée aux enfants !). Cela ignore bien évidemment toutes les garanties qu'est censée apporter une chaîne publique : exprimer la pluralité des opinions, suivre une ligne médiatique neutre et assurer la défense de la Constitution démocratique de son pays. Alors qu'il y a peu, la radio et la télévision publique espagnoles ont été réformées pour plus d'indépendance, c'est au tour de la Catalogne de changer les règles du jeu.
Les choses semblent tout de même bien amorcées. Le Parti Socialiste a obtenu de Mariano Rajoy la création d'une commission pour réformer la Constitution. Ciudadanos semble avoir son mot à dire. Si les choses doivent changer, Rajoy sera bien obligé de sauter dans le train en pleine marche, à moins d'exhiber à nouveau sa négligence. Afin d'éviter la destruction de son jeune et riche héritage démocratique, l'Espagne doit se réformer.
