Balance ton tort !

16/01/2018

Les multiples scandales révélés lors de l'affaire Weinstein ont abouti à la naissance du mouvement de libération de la parole des femmes face aux agressions sexuelles, caractérisé par l'hashtag #metoo aux Etats-Unis et qui s'est matérialisé en France par son équivalent, quoique légèrement plus violent, #balancetonporc. C'est donc ce mouvement au slogan incriminateur qui s'est emparé des affaires d'agressions sexuelles en France

Mais le mercredi 10 janvier 2018, des voix féminines se sont élevées dans une tribune parue dans le journal Le Monde. Parmi les signataires se trouvent la comédienne Catherine Deneuve, la journaliste Elisabeth Lévy ou l'animatrice de radio Brigitte Lahaie. Elles dénoncent une libération de la parole abusive de la part du mouvement #balancetonporc et s'opposent aux dénonciations sur les réseaux sociaux par les hashtags ainsi qu'aux valeurs sociales véhiculées par ces pratiques. Malgré certaines formulations qui peuvent sembler maladroites, dont la « liberté d'importuner », cette tribune rassemble des accusations légitimes et fondées contre les dérives de telles pratiques.

Effectivement, le mouvement a péché dès le début. Il s'est emparé de témoignages de nombreuses femmes et en a fait un lynchage public maquillé d'une libération de la parole. Cet objectif -se hisser contre ces agressions sexuelles et de permettre aux femmes de dénoncer leurs agresseurs- dont personne ne remettrait légitimement en question l'importance, s'est mué en une inquisition collective dont les réseaux sociaux ont été la cour, et dont les retweets ont été les juges. Se parant des plus beaux attributs de la démocratie, elle l'a violée en éliminant de ses principes premiers des valeurs essentielles à la justice : la présomption d'innocence en est un exemple. Voilà comment les accusations sur les réseaux sociaux ont détruit des carrières, des réputations, sans même laisser à l'accusé le droit de se défendre. Car nombreuses de ces accusations étaient véridiques, sans aucun doute. Mais personne ne nous garantit que certaines n'aient pas été abusives et parfois juridiquement fausses. Des règlements de compte, en quelque sorte.

Pour sa défense, le mouvement s'est paré des attributs de désobéissance civile : le disfonctionnement des institutions judiciaires est évident, et mérite donc une autre méthode. Mais quand bien même, le préjudice n'est pas porté ici sur l'Etat, mais sur des individus, atteignant leur sphère privée alors même qu'ils pourraient être l'objet de diffamations. Lorsqu'une désobéissance civile devrait compliquer le fonctionnement d'un Etat, celle-ci détruit les individus sans aucune garantie judiciaire, si ce n'est la parole de l'accusatrice. Ainsi, la poussée libératrice de ce mouvement ne semble s'exercer que par le sacrifice de valeurs essentielles à la liberté globale, posant un problème important pour nos sociétés.

Mais il est également possible de juger que ces excès sont un mal nécessaire au vu de la situation globale. La violence d'une action, lorsqu'elle permet de faire avancer les choses, peut être justifiée. Au moins, le mouvement a eu le mérite de révéler les disfonctionnements évidents de la législation et du système judiciaire français dans ces cas-là : les textes de lois manquent de clarté, les procédures sont bien trop longues au point de ne jamais aboutir, faute de preuves qui sont dures à collecter. Aujourd'hui, l'opinion publique est indéniablement sollicitée par ce débat, et on peut considérer que c'est une bonne chose.

Mais à quel prix ? Car finalement, ces méthodes pourraient apporter plus de mal que de bien. Lorsque des abus dans les accusations -comme celle qui a valu son poste au professeur d'université Stephen Galloway- car il y en aura sûrement de nouveaux, seront révélés, comment la population pourra-t-elle placer sa confiance dans les prochaines initiatives politiques amenées par ce féminisme qui a défendu de façon intransigeante ce mouvement ? Ces méthodes de justice expéditive ne pourraient-elles pas lancer d'autres règlements de compte, accusations, violations de la vie privée qui instaureraient l'ère d'un nouveau tribunal moral sur les réseaux sociaux ?

Il ne faut pas non plus se voiler la face et prétendre que les systèmes judiciaires et politiques des pays développés, dont fait partie la France, sont superflus car inadaptés, inefficaces et corrompus. Ils sont à améliorer, mais leur fonctionnement apporte un minimum de garanties permettant le fonctionnement démocratique de leur pays. Il n'est pas question de dictature et de restrictions de libertés d'initiatives politiques dans les cas que je dénonce.

Mais dans ce cas, comment le mouvement féministe, supposément prôneur de valeurs d'égalité, de justice et de liberté qui sont une partie intégrante des idéaux démocratiques, peut-il se donner le droit de s'affranchir de tout respect celles-ci ? Comment un mouvement qui vise à influencer les valeurs morales de notre société peut-il lui-même s'en passer ? C'est là une mauvaise orientation qui est prise : il semble difficile de prôner une justice quand on l'ignore.

On remarque en plus que pour l'instant, aucune initiative réelle n'a été mise sur la table, pour améliorer concrètement par l'action politique la situation. Le tribunal populaire a fait son travail, mais rien n'a encore été proposé par les porte-paroles du mouvement pour renforcer la véritable justice. On en viendrait à se demander si l'hashtag n'avait en fait pas l'intention d'être transitoire...

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